MARCEL PROUST (1871-1922), UNE LETTRE DE GILBERTE♦
À l’ombre des jeunes filles en fleurs
OBSERVATION ET ÉCRITURE (EXPLICATION DE TEXTE)
CONTEXTE:
Alité depuis plusieurs semaines et accaparé par son amour malheureux pour Gilberte, le narrateur (adolescent dans cette partie de La Recherche) reçoit une lettre à laquelle il ne s’attendait pas.
INSTRUCTIONS:
– Lisez attentivement cet extrait – d’abord sans lire les annotations – et recherchez le vocabulaire que vous ne connaissez pas.
– Passez la souris sur les annotations et prenez des notes pour faire un plan d’analyse. Comment allez-vous découper cet extrait pour l’analyser ?
– Rédigez l’explication de texte (page suivante).
VOLUME I, Une lettre de Gilberte
Un jour, à l’heure du courrier, ma mère posa sur mon lit une lettre. Je l’ouvris distraitement puisqu’elle ne pouvait pas porter la seule signature qui m’eût rendu heureux, celle de Gilberte avec qui je n’avais pas de relations en dehors des Champs-Élysées1L’arrivée de la lettre va rompre le quotidien du narrateur. Voir son attitude indifférente et l’utilisation d’articles indéfinis. Détachement du narrateur envers tout ce qui ne concerne pas Gilberte. Notez l’opposition entre les articles indéfinis et l’article défini “la seule signature” qui marque que l’unique préoccupation du narrateur est Gilberte..Or, au bas du papier2Ce petit marqueur de lien (“Or”) introduit l’événement extraordinaire qui va rompre l’ordre continu des choses.Bien que le narrateur ne fasse pas immédiatement découvrir au lecteur l’auteure de la signature, notez le mouvement du regard qui se déplace jusqu’au bas de la lettre :”Or, au bas du papier”., timbré d’un sceau d’argent représentant un chevalier casqué sous lequel se contournait cette devise: Per viam rectam*3Détails décrivant le sceau de Gilberte. On peut analyser la symbolique de cette image (un chevalier casqué) en relation avec le contexte: le narrateur est amoureux., au-dessous d’une lettre, d’une grande écriture4<< au bas du papier [. . .] au-dessous d’une lettre . . . >> Anaphore, ici, reprise d’un complément circonstanciel de lieu. Quelle fonction a cette anaphore? Notez aussi l’article indéfini << d’une lettre, d’une grande écriture >>. Comment interpréter l’usage de l’article indéfini, et à quoi s’oppose-t-il dans cet extrait?, et où presque toutes les phrases semblaient soulignées, simplement parce que la barre des t étant tracée non au travers d’eux, mais au-dessus, mettait un trait sous le mot correspondant de la ligne supérieure5Analysez les caractéristiques de la calligraphie de Gilberte. Pourrait-on interpréter son écriture? Notez aussi que la phrase est à la fois en suspens (le moment de la révélation est retardé), et en mouvement, puisque Proust nous y conduit. Interprétez la structure de cette phrase, et la fonction de l’observation sur la calligraphie., ce fut justement la signature de Gilberte que je vis6Révélation finale. Il faudra analyser l’adverbe “justement” et montrer à quelle phrase antérieure il s’oppose.. Mais parce que je la savais impossible dans une lettre adressée à moi, cette vue, non accompagnée de croyance, ne me causa pas de joie. Pendant un instant elle ne fit que frapper d’irréalité tout ce qui m’entourait. Avec une vitesse vertigineuse, cette signature sans vraisemblance jouait aux quatre coins avec mon lit, ma cheminée, mon mur. Je voyais tout vaciller comme quelqu’un qui tombe de cheval et je me demandais s’il n’y avait pas une existence toute différente de celle que je connaissais, en contradiction avec elle, mais qui serait la vraie, et qui m’étant montrée tout d’un coup me remplissait de cette hésitation que les sculpteurs dépeignant le Jugement dernier ont donnée aux morts réveillés qui se trouvent au seuil de l’autre Monde7Notez que l’analyse – le narrateur analyse ce qu’il a ressenti – précède la révélation du contenu de la lettre. Notez la disjonction entre ce que le narrateur voit et ses émotions. Analysez la comparaison avec la chute de cheval. Pourquoi tout devient-il irréel? Le narrateur analyse sa réaction à travers la médiation de l’art. Que renforce cette médiation?.
* Per viam rectam: Par le droit chemin (Le livre des Psaumes, 107.7)
« Mon cher ami, disait la lettre, j’ai appris que vous aviez été très souffrant et que vous ne veniez plus aux Champs-Élysées. Moi je n’y vais guère non plus parce qu’il y a énormément de malades. Mais mes amies viennent goûter tous les lundis et vendredis à la maison. Maman me charge de vous dire que vous nous feriez très grand plaisir en venant aussi dès que vous serez rétabli, et nous pourrions reprendre à la maison nos bonnes causeries des Champs-Élysées. Adieu, mon cher ami, j’espère que vos parents vous permettront de venir très souvent goûter, et je vous envoie toutes mes amitiés. Gilberte.»8Syntaxe: Notez la place du verbe d’élocution : « disait la lettre ».Vérifiez la signification du verbe « goûter ». Analysez le langage de Gilberte et l’usage du « vous » entre deux enfants. Que nous dit la lettre sur la société où vit Gilberte? Mettez en relation avec sa calligraphie. Tandis que je lisais ces mots, mon système nerveux recevait avec une diligence admirable la nouvelle qu’il m’arrivait un grand bonheur9Formulation qui met en relief la division du moi.. Mais mon âme, c’est-à-dire moi-même, et en somme le principal intéressé, l’ignorait encore10Même remarque. Le bonheur, le bonheur par Gilberte, c’était une chose à laquelle j’avais constamment songé, une chose toute en pensées, c’était, comme disait Léonard, de la peinture, cosa mentale11L’analyse du narrateur, à nouveau, s’appuie sur une comparaison avec l’art. Que renforce cette remarque ?. Une feuille de papier couverte de caractères, la pensée ne s’assimile pas cela tout de suite. Mais dès que j’eus terminé la lettre, je pensai à elle, elle devint un objet de rêverie, elle devint, elle aussi, cosa mentale et je l’aimais déjà tant que toutes les cinq minutes, il me fallait la relire, l’embrasser12Pourquoi cette phrase s’ouvre-t-elle sur une nouvelle opposition (“Mais”)? Il faudra montrer comment l’objet matériel (la lettre) se transforme en objet d’amour. D’autre part, à quoi se réfère “elle”? Remarquez que ce pronom sujet sera répété encore deux fois et renforcé par trois pronoms objets.. Alors, je connus mon bonheur13Analysez comment se clôt l’expérience (“Alors”).Dans ce contexte, que signifie le verbe « connaître »?.
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↥1 | L’arrivée de la lettre va rompre le quotidien du narrateur. Voir son attitude indifférente et l’utilisation d’articles indéfinis. Détachement du narrateur envers tout ce qui ne concerne pas Gilberte. Notez l’opposition entre les articles indéfinis et l’article défini “la seule signature” qui marque que l’unique préoccupation du narrateur est Gilberte. |
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↥2 | Ce petit marqueur de lien (“Or”) introduit l’événement extraordinaire qui va rompre l’ordre continu des choses.Bien que le narrateur ne fasse pas immédiatement découvrir au lecteur l’auteure de la signature, notez le mouvement du regard qui se déplace jusqu’au bas de la lettre :”Or, au bas du papier”. |
↥3 | Détails décrivant le sceau de Gilberte. On peut analyser la symbolique de cette image (un chevalier casqué) en relation avec le contexte: le narrateur est amoureux. |
↥4 | << au bas du papier [. . .] au-dessous d’une lettre . . . >> Anaphore, ici, reprise d’un complément circonstanciel de lieu. Quelle fonction a cette anaphore? Notez aussi l’article indéfini << d’une lettre, d’une grande écriture >>. Comment interpréter l’usage de l’article indéfini, et à quoi s’oppose-t-il dans cet extrait? |
↥5 | Analysez les caractéristiques de la calligraphie de Gilberte. Pourrait-on interpréter son écriture? Notez aussi que la phrase est à la fois en suspens (le moment de la révélation est retardé), et en mouvement, puisque Proust nous y conduit. Interprétez la structure de cette phrase, et la fonction de l’observation sur la calligraphie. |
↥6 | Révélation finale. Il faudra analyser l’adverbe “justement” et montrer à quelle phrase antérieure il s’oppose. |
↥7 | Notez que l’analyse – le narrateur analyse ce qu’il a ressenti – précède la révélation du contenu de la lettre. Notez la disjonction entre ce que le narrateur voit et ses émotions. Analysez la comparaison avec la chute de cheval. Pourquoi tout devient-il irréel? Le narrateur analyse sa réaction à travers la médiation de l’art. Que renforce cette médiation? |
↥8 | Syntaxe: Notez la place du verbe d’élocution : « disait la lettre ».Vérifiez la signification du verbe « goûter ». Analysez le langage de Gilberte et l’usage du « vous » entre deux enfants. Que nous dit la lettre sur la société où vit Gilberte? Mettez en relation avec sa calligraphie. |
↥9 | Formulation qui met en relief la division du moi. |
↥10 | Même remarque |
↥11 | L’analyse du narrateur, à nouveau, s’appuie sur une comparaison avec l’art. Que renforce cette remarque ? |
↥12 | Pourquoi cette phrase s’ouvre-t-elle sur une nouvelle opposition (“Mais”)? Il faudra montrer comment l’objet matériel (la lettre) se transforme en objet d’amour. D’autre part, à quoi se réfère “elle”? Remarquez que ce pronom sujet sera répété encore deux fois et renforcé par trois pronoms objets. |
↥13 | Analysez comment se clôt l’expérience (“Alors”).Dans ce contexte, que signifie le verbe « connaître »? |