David Bellos
La traduction d’un texte intraduisible
Megan Myscofski (2011) ©
Quand on parle d’un écrivain, on parle d’habitude de son style. Et souvent un écrivain réutilise ses thèmes, ses idées, sa méthode. Or Georges Perec écrit avec un style constant tout en étant inconstant. Il expérimente d’une façon qui est bizarre et en même temps drôle. Si ses histoires amusent le lecteur, elles compliquent le travail du traducteur. En écoutant David Bellos, le traducteur de L’art et la manière d’aborder son chef de service pour lui demander une augmentation, on apprend les difficultés à rendre ce texte en anglais.
D’origine britannique, David Bellos est amusant et peut faire rire quelqu’un en lisant une liste de courses. Quand il parle du monde, il le fait d’une manière honnête, mais aussi comique, sans annoncer qu’il fait des blagues. A mon avis, ces qualités montrent pourquoi il a réussi à traduire les livres de Perec : il voit le monde de façon similaire et le décrit avec le même humour. Cela signifie qu’il comprend ce que Perec essaie de faire et peut l’imiter pour sa propre culture. Pour cette raison, il est possible de dire que Bellos utilise ses talents et qualités pour partager l’art de Perec avec un nouveau public. Je trouve cette idée intéressante car la traduction devient aussi un art : en effet, peut-on s’appeler un artiste quand on travaille à partir de l’art d’un autre ? Je pense que oui. Je ne veux pas dire que c’est le même type d’art qu’on produirait si on travaillait avec des idées originales. Mais cependant, il faut remarquer que la traduction de Bellos n’est pas que le travail de Perec. Elle réfléchit aussi le style du traducteur.
Il est donc aussi possible de parler de ce texte traduit du français en anglais comme d’une double traduction : l’intention de Perec était d’écrire comme un ordinateur écrit, mais les ordinateurs ne savent pas vraiment parler français. Ainsi Pérec a traduit la langue et la logique des machines pour les humains. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’a pas utilisé de ponctuation. De plus les ordinateurs parlent sans recourir à la grammaire, et plutôt sous forme d’algorithmes, comme le livre de Perec. En choisissant entre deux possibilités, « oui » ou « non », on envisage tout ce qui pourrait arriver et on s’y prépare. Donc lorsque Bellos a traduit le texte de Pérec en anglais, il a dû penser à deux logiques : la logique de la langue française (et celle de Perec), et celle des ordinateurs. Il y avait donc deux niveaux de texte à traduire, alors que le traducteur traditionnel n’en a qu’un.
L’art de la traduction est toujours intéressant, mais la traduction des textes de Perec tranche sur celle des autres textes. Pour traduire Perec, il ne faut pas seulement comprendre la langue française ; il faut comprendre la logique d’une personne qui joue avec les principes de la machine. Dans son propre style, David Bellos transporte celui de Pérec pour porter ses textes à ceux qui n’y ont pas accès. Il prouve que l’art de la traduction est un art très fascinant.