17 rue Bleue, un film de Chad Chenouga (2001)
Élisabeth Dabbelt (2011) ©
17 rue Bleue (avec Lysiane Meis, Abdel Halis et Aimen Ben Hamed) a été réalisé par Chad Chenouga en 2001. C’est un film très autobiographique sur l’enfance du réalisateur, et aussi un film d’époque. Ce film raconte la vie de Chad (un garçon d’origine algérienne), de son frère Samir et de sa mère, Adda.
La première scène du film montre des timbres algériens flottant sur la mer, un symbole pour l’histoire de ce film. Les trois personnages habitent à Paris pendant les années soixante. Adda et son patron (français) ont une liaison romantique. Chad ne connait pas son père, mais le père de Samir est le patron d’Adda. On comprend qu’Adda était déjà enceinte quand elle a quitté l’Algérie. Ensemble, les quatre personnes vivent heureuses. Mais soudainement, le patron d’Adda meurt et la petite famille est laissée toute seule. Adda essaye de forger le testament inachevé de son patron pour hériter de son argent, et engage un procès contre sa femme légitime. Elle passe beaucoup d’années à mener ce procès, mais échoue. Puis elle perd sa sœur, qui est enceinte, car leur mère vient d’Algérie pour la faire avorter et la reprendre. Adda tombe alors dans une dépression drastique. Samir part pour vivre dans une institution, mais Chad refuse de quitter sa mère. Il reste chez eux et s’occupe d’Adda. Mais elle est trop déprimée et essaye de se suicider. Quand elle retourne de l’hôpital, tout paraît normal, mais elle meurt finalement et Chad est laissé seul.
Il est clair que Chenouga a des souvenirs pénibles de son enfance. Ce film montre sa tentative d’exprimer son enfance difficile. En fait, selon Alain Grasset et Philippe Vavasseur, « [l]e cinéaste [a] quelque chose à expulser » (Le Parisien). C’est un film très simple, sans effets spéciaux, sans beaucoup d’action, mais il y a quelque chose de poignant et de réaliste dans ce film. Comme le dit Anne-Clair Cieutaut, « [m]ême si la portée du film [paraît] limitée et si ni [le style de Chenouga], ni son écriture font preuve d’une grande originalité, on ne peut discuter le fait que 17 rue Bleue soit un film sincère et touchant. » (arte.tv)
Le titre de ce film est significatif parce que, pour Chad, cette adresse est le symbole de sa famille. Chad refuse de quitter la maison et sa mère. Or la dépression d’Adda est associée avec cet appartement qu’elle ne parvient pas à quitter, ce qui se marque lorsqu’ elle cherche un trésor imaginaire dans les murs. L’état de l’appartement qui se détériore, comme Adda, ainsi que les cafards que Chad tue dans la maison sont un peu les représentants de la maladie d’Adda, une maladie que Chad espère guérir. En effet, le problème de la responsabilité entre les membres d’une famille est l’enjeu du film. D’autres thèmes importants sont la complexité des rapports familiaux, l’intégration de cette famille d’origine algérienne en France, et l’identité des adolescents.
En fait, les relations entre les personnages sont compliquées. Bien que le patron d’Adda ne soit pas le père de Chad, il donne de l’argent pour toute la famille. De plus, il existe une relation étrange entre Chad et Samir. Il est clair que Chad n’aime pas le fait que Samir connaisse son vrai père. Le jeu des acteurs, particulièrement celui du petit Chad et du petit Samir, montre cette relation avec des détails réalistes. D’autre part les deux frères ont une relation un peu sexuelle avec leur mère. On voit que Samir est jaloux quand Chad s’étend à côté d’Adda. Mais quand Samir voit une chance d’échapper à sa famille, il la prend, malgré la décision de Chad de rester avec Adda. Or bien que Chad adore Adda, il a aussi honte d’elle. Il refuse toute aide sociale et ne veut pas que son ami sache qu’Adda ne peut pas payer le loyer de l’appartement. Donc la vie du Chad est pleine de secrets et de douleur. Il porte tout le fardeau de sa famille.
La lutte d’intégration des immigrants, un autre grand thème de 17 Rue Bleue, est présente dans les scènes où l’on voit la mère d’Adda rendre visite à ses filles. Tout à coup Adda – qui cachait son identité algérienne à Paris, par exemple en portant une perruque brune pour cacher ses cheveux algériens et pour paraître plus française – commence à parler l’arabe, mais Chad et Samir ne la comprennent pas du tout. Bien qu’il soit étrange qu’Adda cache son passé, Chenouga montre les préjugés des citoyens français quand un policier lance des insultes raciales à Adda. Chenouga a bien exposé les différences culturelles entre Chad, Samir et leur grand-mère, une différence apparente dans leurs vêtements et leur langue.
L’identité est peut-être le plus grand thème du film. En réalité, Chad n’a pas d’identité parce qu’il ne connait pas son père. De plus, il préfère s’appeler « Robert » à l’école au lieu d’utiliser son nom algérien. En fait, Chad ne comprend pas son identité, comme Adda ne comprend pas comment mélanger sa culture originelle avec la culture parisienne. Comme Chenouga l’a expliqué dans un entretien avec Objectif Cinéma, l’identité « qu’ [Adda] transmet [à Chad] est mal transmis[e]. Elle ne lui a pas appris l’arabe, elle ne lui a pas dit qui était son père…Il y a des non-dits qui rendent les bases pas très solides ». Sa seule base solide est l’appartement, donc il ne quitte ni sa mère ni l’appartement, essayant de protéger les deux choses les plus importantes de sa vie. Chenouga montre les effets négatifs de ce choix. Heureusement, quand Adda meurt, Chenouga suggère qu’il y a un espoir pour Chad ; il est libéré de la douleur de sa famille.
17 rue Bleue est un film très poignant, et très important pour l’histoire des immigrés algériens. C’est aussi un chef d’œuvre artistique qui montre comment on peut prendre les vérités pénibles de la vie pour créer de l’art.