Un mensonge qui réconcilie une famille vaut mieux qu’une vérité qui la divise
Proverbe Wolof
Claire Armstrong (2011) ©
Parce qu’ils définissent les valeurs d’une société, les proverbes sont importants. Ce proverbe du peuple Wolof au Sénégal, un pays devenu francophone, dit qu’ « un mensonge qui réconcilie une famille vaut mieux qu’une vérité qui la divise. » Ce proverbe indique que l’unité de la famille est extrêmement importante pour les Wolofs, probablement parce que la vie quotidienne dépend de la structure spécifique de la famille, où la femme garde les enfants et fait la cuisine pendant que l’homme travaille ailleurs. Donc bien que les Wolofs pensent que les mensonges sont malhonnêtes, pour eux l’unité de la famille est plus importante que la vérité.
L’essence de ce proverbe concerne l’univers matériel, et non le monde spirituel platonique où se trouvent les questions d’éthique. Si la structure de la famille est nécessaire pour survivre, il est alors nécessaire de la préserver, même en mentant. Le fait que la réconciliation soit basée sur un mensonge n’affecte pas la survie de la communauté. La structure de la famille s’est affinée pendant les siècles pour mieux s’adapter à la communauté et la servir. En réalité, les concepts idéaux de vérité et d’honnêteté ont été inventés par des philosophes aristocratiques et bien nourris.
Mais d’un autre côté, qu’est-ce la vie si on n’a pas de principes ? Car même si personne n’est parfait, c’est un trait humain de distinguer entre le bien et le mal : tout le monde doit choisir entre les deux. Bien que ce proverbe suggère l’absence de cette morale, je refuse de croire que les Wolofs n’ont pas cette conscience, parce que la compréhension des responsabilités familiales en appelle à la conscience même.
Même si dans ce proverbe les Wolofs ont l’air d’encourager les mensonges, en réalité ils promeuvent l’unité de la communauté pour l’aise et confort de tout le monde. Si l’alternative est une famille éclatée, je préférerais moi-même vivre dans le mensonge. Ce n’est pas un choix facile, parce qu’avec le temps, tous les mensonges se manifestent, en s’aggravant. Mais quelque fois, il est nécessaire d’abandonner l’éthique pour sauvegarder quelque chose de plus important.
Cependant, les conséquences des mensonges peuvent être néfastes. Prenons un exemple contemporain: la crise à Penn State University nous montre que la peur de rompre l’unité, ou plus précisément la peur d’un scandale, peut aveugler complètement, en aggravant la vraie blessure des innocents. L’administration de l’université a voulu garder son entraîneur de football américain malgré ses violences sexuelles, et c’est pour cette raison qu’elle a protégé un agresseur d’enfants, le type de criminel le plus abhorrant selon moi. C’est donc essentiel de déterminer la limite entre les petits mensonges et les mensonges vraiment criminels. En résultat, maintenant l’administration de Penn State est brisée, et l’école est en train d’être absolument discrédité. En réalité, les mensonges de l’administration sont presque pires que les actions de l’entraîneur, parce qu’une conspiration choquante est révélée.
On voit qu’il y a des dangers à promouvoir l’unité d’une communauté, car on peut ainsi couvrir des actions criminelles. En même temps, pour les Wolofs, ce qui est le plus important, c’est la famille. Ce que les anciens veulent transmettre aux enfants avec ce proverbe, c’est la solidité de la communauté. Ce qui est transmis avec ce proverbe, c’est que la cellule familiale est sacrée, plus inviolable que les notions du bien et du mal.
Florence Madenga (2011) ©
Ce proverbe Wolof, « Un mensonge qui réconcilie une famille vaut mieux qu’une vérité qui la divise», montre l’importance de la famille dans la société de cette communauté. Le proverbe donne aussi une condition : il implique que dans le cas où une famille est déjà divisée, un mensonge provoquant une réconciliation “vaut mieux” qu’une vérité qui cause la division, ou qui impose la séparation entre les membres de la famille. Il questionne donc deux valeurs, et leur importance dans la société : est-ce que l’unité de la famille est plus importante que la vérité ? Y a-t-il des distinctions entre les types de mensonges et leurs implications, et y a-t-il des exceptions ? Est-il souhaitable d’ignorer ou de cacher le mensonge juste pour protéger la famille?
Je pense que ce qui unit la famille est très important dans la société, parce que si les familles sont fragmentées, cette société n’a pas de base – c’est une maison sans fondation. Mais puisque une société est aussi basée sur des valeurs fondamentales, comme la vérité, ce proverbe peut être paradoxal.
Comment les mensonges fortifient-ils une famille? A mon avis, cette idée est une illusion. Je propose une autre vue, qui dit que l’unité qui vient d’un mensonge n’est pas vraiment une « unité », mais une illusion d’unité. Donc la vraie question est: « Est-ce qu’une illusion d’unité est mieux que la réalité d’un désaccord ? » Le proverbe implique que cacher les mensonges est mieux qu’une vérité qui divise une famille et détruit la confiance. Mais on peut aussi dire que les mensonges détruisent la confiance, et que la confiance est importante pour protéger les relations familiales. Donc au contraire de ce que dit le proverbe, un mensonge, même s’il réconcilie une famille, n’est pas une chose positive, ni une valeur, et n’apporte pas de vraie « unité ».
Ce proverbe, cependant, peut être vrai dans certaines situations. Invoquons par exemple l’image d’un état, qui comme une famille est une unité et qui a besoin d’unité pour exister ou pour rester fort. Or il y a certains « mensonges » qui sont enseignés aux membres de cet état pour renforcer l’unité, et pour donner une identité qui lie les membres de la société. Par exemple, dans les écoles, les enfants apprennent des histoires qui forment un certain point de vue, qui renforcent le patriotisme, et qui expliquent comment ils doivent se voir comme citoyens. De même, les médias présentent des histoires qui montrent un certain point de vue pour servir certains buts. Par exemple, pendant une guerre, certains faits sont cachés ou révélés partiellement, et dans certaines situations des mensonges sont écrits pour unifier la nation. Or dans ces situations, quand les « fables » sont découvertes, on peut aussi questionner la valeur du mensonge : est-il plus facile et souhaitable d’accepter simplement un mensonge, ou d’introduire une vérité qui détruit ce que les citoyens apprécient le plus, qui est l’état, l’unité, et le pouvoir ?
Bien que la société soit dépendante de l’unité et de la structure, comme dans une famille, la société est aussi dépendante des valeurs. On a appris que les mensonges détruisent la confiance. En effet, on juge la qualité d’une société par ses valeurs. Par exemple, on condamne les politiciens qui mentent aux citoyens, même si ces politiciens croient que leurs mensonges sont nécessaires pour protéger l’unité de leurs pays. Dans certaines écoles de pensées politiques, on détermine la différence entre les pays qui sont développés et les pays non-développés par le niveau de corruption entre les politiciens, et par l’existence des institutions judiciaires qui assurent la transparence et la justice sociale. Dans la famille, on réprimande un enfant qui dit des mensonges. J’invoque aussi la notion de conscience, qui hante les menteurs. La vérité est vue comme quelque chose d’éternel, qui dure et qui est constante, qui nous donne une vraie perspective de la vie, qui surpasse les fautes humaines et donne l’espoir d’améliorer la condition humaine. Je pense qu’il est nécessaire d’avoir des standards de valeur pour assurer l’ordre dans la société, la paix, tout comme l’unité.