De la brièveté de la vie, Sénèque:
Nous n’avons pas trop peu de temps, mais nous en perdons beaucoup. La vie est assez longue ; elle suffirait, et au-delà, à l’accomplissement des plus grandes entreprises, si tous les moments en étaient bien employés. Mais quand elle s’est écoulée dans les plaisirs et dans l’indolence, sans que rien d’utile n’en ait marqué l’emploi, le dernier, l’inévitable moment vient enfin nous presser : et cette vie que nous n’avions pas vue marcher, nous sentons qu’elle est passée.
Tamas Vilaghy (2011) ©
Peut-être que les pensées de Sénèque concernent plus la vie de l’homme moderne que celle d’un Grec. En effet, même si la médecine a prolongé la vie, on travaille plus et la vie semble donc trop courte pour s’amuser, mais assez longue pour ressentir de l’ennui. Toutefois, si « tous les moments en [sont] bien employés », la durée de la vie suffit. D’autre part la notion de «grandes entreprises » ne doit pas être comprise comme des choses faites pour « la frime », mais comme un processus personnel. De plus chacun doit décider comment interpréter les notions de « bien » et de « bon », car elles sont soumises à des forces extérieures. L’homme n’est pas seul responsable de sa vie ; il répond aussi à ces forces. Nous devons faire quelque chose d’ « utile » en répondant au désordre quotidien.
Notre monde est très diffèrent de celui de Sénèque, mais sa remarque sur le manque de temps est toujours très judicieuse. Je crois qu’aujourd’hui nous nous sommes attachés à notre travail plus qu’à nos passions, passant du temps à gagner de l’argent, mais sans accomplir de grandes entreprises. Or c’est inutile si on n’a pas de but personnel. L’idée même de travailler pour prendre sa retraite confortablement est une perte de temps dont on ne jouit plus à notre époque. En fait, on n’a même plus la promesse d’une bonne retraite, parce que les dettes nous contrôlent, comme ceci s’est manifesté pendant la récession. Comment trouver son identité dans ce système ?
L’homme moderne croit qu’il peut prolonger sa vie, mais la réalisation que ses activités sont futiles a le même effet que celui dont parle Sénèque. Je crois que c’est le thème principal de l’œuvre de Kafka, qui connaissait bien l’homme moderne. Si nous ne rejetons pas cette façon de vivre, notre destin est malheureusement condamné au travail impersonnel.
La déclaration de Sénèque est toujours très judicieuse parce que le temps contrôle nos vies. Bien que nos vies soient devenues plus longues, elles sont aussi devenues moins concentrées, et donc moins riches. Maintenir ce mode de vie est plus facile que faire quelque chose pour soi-même, mais je crois que finalement, celui qui travaille pour lui- même réussit plus, bien qu’il ait moins d’argent.