La Boîte noire suivi de Départs, de Stéphane Martelly.
Nadrah Mohammed (2011) ©
Dans cet extrait du recueil « Dans la Boîte Noire suivi de Départs” de Stéphane Martelly, l’auteure décrit peut-être, d’une manière très poétique, la lutte et la peur d’un peuple opprimé. D’emblée, elle introduit l’idée d’un fil (« il faut marcher le long des fils électriques pour monter au ciel”) qui la guide mais aussi illustre la difficulté de survivre à l’oppression et de gagner la rédemption. Elle ne parle directement ni d’une guerre ni d’un ennemi en particulier, et décrit abstraitement une situation d’urgence. Ses interlocuteurs ne sont pas identifiés (qui est “vous”, “il” et “mon amour” ?) et peut-être appartiennent à des temps différents. D’autre part, l’auteure utilise plusieurs oxymores (“hurlement de silence”) pour illustrer l’idée de conflit interne et externe.
Ce texte, très poétique, est caractérisé par beaucoup de figures de style. Les choses dont il parle sont abstraites, et les symboles psychologiques décrivent une réalité mentale plutôt qu’un événement. L’image de la boîte (“un jardin entouré de murs”) semble signifier l’idée d’un piège. Mais cette idée s’oppose à l’image de lumière (“la lumière au passage”), qui représente l’espoir d’échapper. Bien que des choses externes influencent le sujet (“je”), le problème est aussi psychologique. La boîte est en effet une image de son esprit — le “je” ne peut pas échapper à ses pensées. Chaque phrase est polysémique et souvent mystérieuse ; par exemple dans “Mais l’herbe est coupée, mon amour et il ne faut pas avoir peur,” “je” n’explique ni qui est “mon amour,” ni la présence de “l’herbe.” “Je” semble parler de la fin de quelque chose, mais cette chose n’est pas claire. L’image de l’herbe s’accompagne d’autres images de la nature tout au long du poème (le soleil, les mers, le jardin). Dans la deuxième partie de l’extrait, on peut aussi se demander pourquoi “je” se trouve dans la position de rassurer quelqu’un. Soudainement, elle est plus puissante et elle a un certain contrôle. Evidemment, cette attitude contraste avec ce qui précède. Maintenant, “je” peut conseiller et est plus forte.
Dans le troisième paragraphe se répète l’image d’un fil électrique “qui s’allonge et où se perpétue une lumière invisible.” Le fil, d’abord dans la boîte du jardin, et maintenant dans l’espace obscur, est sa chance de survie, son espoir. Mais la libération complète n’est pas encore certaine, aussi la lumière n’est-elle qu’invisible. Cet oxymore illustre la complexité de la liberté. L’image de “fenêtres ouvertes” est liée à “la lumière” parce que cela indique aussi un changement positif. “Je” emploie d’ailleurs un vocabulaire fort (“je vous l’annonce”) qui est une déclaration, une affirmation de puissance. Cette nouvelle assurance fait résonner le tout comme un discours politique. De même, le paragraphe suivant commence par “parce que”, ce qui indique que “je” est en train d’argumenter ; “je” essaye en effet d’expliquer quelque chose à un public. Avec “les choses ne sont réelles que lorsqu’elles peuvent mourir,” “je” explique la mort, elle donne donc un sens à la vie. Ici “je” est philosophe, elle cherche le sens de la mort et de la vie. La métaphore de la boîte fermée (“à six pans”) se répète, ainsi que la notion d’espoir (“un jour tout le monde se réveillera et chantera en voyant que le soleil se lève.”) Le futur ici est important parce que “je” pense à l’avenir; elle a de l’espoir, même si rien n’est encore résolu. “Je” prédit avec assurance, mais la libération n’est pas encore certaine.
Ce texte me fait penser à un poème de Martin Carter (un Guyanais) intitulé “This is the Dark Time, My Love.” C’est un poème sur la guerre, plus précisément sur le colonialisme en Guyane. Le poète s’adresse à son amour et la prévient des dangers qui caractérisent ces temps d’oppression. Comme dans le texte de Martelly, l’adresse (“mon amour”) apporte une tendresse qui s’oppose à la violence de l’oppression du peuple. Les effets de style, surtout, sont similaires : Carter emploie des oxymores (“festivals d’armes” / “carnaval de misère”) de la même façon que Martelly, qui oppose les choses et les concepts (“lumière invisible” / “hurlement de silence.”)
Il est vrai que les oppositions de Carter sont plus choquantes ; l’une de ses personnifications (“les fleurs rouges courbent leur tête dans un chagrin terrible”) rend l’atmosphère encore plus dramatique et obscure, un peu surréelle, bien que les événements soient bien réels, comme “le cri de la pierre” dans le texte de Martelly. Mais en général, le ton est un peu différent parce que Carter n’a pas autant d’espoir que Martelly. En effet, il ne représente pas le futur. Pourtant leurs dernières phrases sont toutes deux ambiguës et sombres. Martelly dit “Je ne saurai plus voir”, tandis que Carter place le rêve de son amour comme une cible pour l’ennemi. La même menace plane : ils ne sont pas encore en sécurité.
Kari Belsheim (2011) ©
Cet extrait en prose de Martelly présente un mélange d’images compliquées. D’emblée dans la première ligne, Martelly introduit une image abstraite : « Il faut marcher le long des fils électriques pour monter au ciel. » L’utilisation du verbe falloir illustre à la fois la nécessité de l’action et son danger. Quel est le sens de cette image ? Premièrement, la conduction de l’électricité dans les fils électriques évoque le mouvement. C’est en fait une mise en mouvement que Martelly prêche.
Durant tout le poème, l’image des fils électriques se renforce avec les répétitions. Parce que le poème s’organise en petits paragraphes, chaque paragraphe ajoute une autre image frappante. Le deuxième paragraphe, par exemple, illustre l’idée de la perte et de la persévérance avec l’utilisation de l’imagerie de la nature : «Mais l’herbe est coupée, mon amour, et il ne faut pas avoir peur. Il ne faut pas avoir peur d’avancer s’il fait sombre. » La première partie de la phrase illustre que le monde a déjà commencé à changer, et que donc la personne n’a rien à perdre. En outre l’herbe se juxtapose à l’image des fils électriques. Or l’herbe est naturelle et chaude tandis que les fils électriques sont modernes et dangereux. Cependant l’herbe peut repousser, donc il y a une autre dimension dans cette juxtaposition. L’idée du noir est aussi forte dans ce texte. Qu’est-ce que le noir représente ? Peut-être l’inconnu et le futur. Mais il peut aussi représenter l’impuissance. Dans le contexte de cet extrait, il semble qu’on doive accepter un certain état d’impuissance, et continuer.
Qui est cet « amour » auquel s’adresse d’abord Martelly ? Plus tard dans le poème, elle mentionne un « vous » (« Je vous l’annonce… »). Le premier pronom est plus intime, et fait donc peut-être allusion à quelqu’un en particulier. « Vous » est plus large, plus ouvert, ce qui transforme la déclaration intime en un grand prophétisme. Ceci contribue à mettre le poème en mouvement.
J’aime beaucoup le vocabulaire de ce texte et ses images, tel que l’oxymore « une lumière invisible » du troisième paragraphe. Les images sont en effet la force directrice du poème. Je trouve curieuse, en particulier, l’image des camionnettes. Apparemment, cette image apparaît souvent dans la poésie de Martelly , donc on doit examiner sa signification. Comme je ne sais pas de quel lieu et de quel contexte Martelly parle, je ne sais pas comment l’interpréter. Peut-être que Martelly a vu beaucoup de camionnettes pendant son enfance. L’image produite par des « fenêtres s’ouvriront sur des mers enfin calmes » semble s’opposer au bruit des camionnettes et à la pagaille des rues. J’y trouve une métaphore de la vie mise en contraste avec la paix de la mort.
Bien que je ne comprenne pas toutes les images de Martelly, je trouve ce poème vraiment beau. C’est une illustration intime de la force d’endurance qu’il faut avoir pour survivre dans un monde intransigeant.